Je suis assis depuis une heure face au portrait de Norma Jean Baker... Celui de la première image avec le luth.
Ça a commencé ainsi. J'attends son approbation comme je cherche à sonder son regard qui m'interroge. La seule chose que je sais, c'est que je ne regarde pas "Marilyn". Non, celle-ci n'est qu'un personnage construit par Norma Jean, par et pour les loups d'Hollywood qui n'auront de cesse de la dévorer jusqu'à plus faim, jusqu'à ce qu'elle s'en délivre maladroitement dans la nuit du 4 août 1962 vers 5h42.
Elle savait très bien ce qu'elle faisait, sauf peut-être ce soir là...Douée d'une intelligence largement au-dessus de la moyenne et d'une sensibilité qui ne l'était pas moins, son esprit était aussi affûté que sa répartie et son humour était désarmant. Mais ce n'est pas ce que l'on retiendra d'elle. Le voulait-elle d'ailleurs? La bouche entrouverte, le regard langoureux, et la tête légèrement penchée vers l'arrière, elle savait par cœur jouer son rôle de blonde incendiaire écervelée afin de mieux se jouer de la saloperie des hommes tout comme de celle des femmes, qui jalousaient cette icône punaisée au fond des garages sans savoir qu'elle était leur tragique semblable. Un petit oiseau non pas blessé, mais piétiné, pulvérisé, détruit qui n'avait trouvé que cette stratégie pour tenter être aimé ou remarqué...
Même de la pire des manières, oublier Marilyn pour n'être que Norma Jean (Norma Jean Baker de son vrai nom).
Sauf dans le regard d'un homme.
Milton Greene. Un photographe qui sera son ami. Le seul à avoir su capter au fil des ans, certes le fameux regard dont elle jouait, mais surtout celui de la maman qu'elle ne sera jamais avec le fils du photographe, celui de la copine marrante avec laquelle on refait le monde, celui rempli d'une tristesse infinie, celui de l'enfant perdue pour toujours, celui de l'innocence...et celui-ci que je ne comprends pas. On pourrait y lire de la tristesse, de la mélancolie. Mais comme nous connaissons tous la fin du film, on pourrait peut-être y voir simplement défiler toute son histoire tragique... sa vie qui se déroule dans ses yeux au format 35mm. Mais c'est trop facile. C'est peut-être simplement le reflet de son "Âme", trop belle pour être jetée en pâture aux regards brûlants qu'elle cachera tant bien que mal à sa façon, sauf en cet instant fugace où elle sera figée à jamais sur la pellicule. Le figement...une caractéristique du traumatisme qu'elle connaîtra plus d'une fois certainement.
Son dernier film, inachevé, devait s'appeler "Something's got to give", que l'on pourrait traduire par "Quelque chose doit craquer". Le principe de toute thérapie ou introspection finalement. Faire craquer le joli vernis ou les ultimes barrages quitte à radicalement métamorphoser son paysage.
J'étais enfant quand j'ai commencé à être bouleversé par cette femme, un article dans Télé 7 jours qui racontait sa triste fin, et plus tard j'ai dévoré le roman de Marc Dugain, "Marilyn dernières séances" qui raconte l'histoire sous le regard de Ralph Greenson, son psychanalyste. Des années de psychanalyse ambiguë et plus que limite faite de transfert, de contre-transfert, des séances dont il reste des enregistrements sonores, qui se solderont par 50 Nembutal de trop pris en une fois.
« Je suis égoïste, impatiente et peu sûre de moi. Je fais des erreurs, je suis hors de contrôle et parfois difficile à gérer. Mais si vous ne pouvez pas me supporter pour le pire, nul doute que vous ne me méritez pas pour le meilleur. »
Sa vie qui défile...une synthèse de traumatismes Norma Jean. Violée enfant, punie pour l'avoir dit, violée adulte, sexualité débridée assumée ou se faisant croire qu'elle l'est, enfant non-desirée issue d'un adultère, mère schizophrène qui la placera en famille d'accueil et à l'orphelinat, alcool, médicaments, hôpitaux psychiatriques, fausses couches, tentatives de suicide et j'en passe. Faut-il pourtant la ramener uniquement à sa condition de victime? Ce serait l'insulter et réduire son rôle dans sa propre histoire. L'enfant est toujours une victime quoi qu'il arrive sans la moindre nuance possible (on pouvait lire l'inverse dans le torch...journal "Libération" dans les années 70 et même chez Françoise Dolto...
Mais je ne juge pas, la qualité du papier est trop épaisse et bouche les toilettes, j'ai essayé. Mais l'adulte, lui,
met en place des stratégies qui lui permettront aussi d'entretenir sa position de victime en alternant inconsciemment les rôles, de persécuteur et de sauveur. Elle savait ce qu'elle laissait faire parfois mais n'était-ce pas surtout sa façon à elle de se confirmer qu'elle n'était rien qu'une enfant abandonnée et salie autant par les hommes que par les femmes. Qu'elle le méritait et que c'était dans le fond très bien comme ça...
Elle n'a jamais connu son père biologique qui ne voulait pas de cet "accident". Son grand drame sera d'ailleurs de ne jamais arriver au terme d'une grossesse volontairement ou involontairement.
Ah...oui au fait...pourquoi suis-je assis en face d'elle? Et pourquoi cet article qui est une façon de justifier sa présence dans mon cabinet? Car oui j'hésite à y accrocher ce portrait que j'ai acheté sans réfléchir. Je me demande si ce n'est pas incongru, mais en même temps, entre Hopper et des affiches de films d'Hitchcock (un génie mais qui avait d'ailleurs un sacré problème avec les actrices blondes et qui détestait Marilyn)...
Quel est le message envoyé? Qu'est ce qui sera interprété? Elle s'est suicidée et c'est quand-même moins inspirant et cool qu'un portrait de Frida Khalo ou de Bouddha...
« Personne ne m’a jamais dit que j’étais jolie quand j’étais une petite fille. Toutes les petites filles devraient s’entendre dire qu’elles sont jolies, même si ce n’est pas vrai. »
Mais il n'y a aucun message. Je suis empathe et sensible, et enfant elle m'a marqué. C'est tout. Voulais-je inconsciemment la sauver? J'aurai adoré la connaître, mais je la connais un peu trop, et si je fais ce métier c'est aussi un peu à cause d'elle. Ce regard en noir et blanc...je l'aime autant qu'il m'inquiète parce que je le connais trop bien. Selon l'angle il retrouve pourtant un peu de lumière.
Elle savait ce qu'elle faisait jusqu'au moment fatal où elle cessa de le savoir. Personne n'aurait pu la sauver à part elle-même.
Dans mon cabinet il y a des gens en souffrance, qui ont souffert, qui veulent avancer ou qui n'avancent plus comme ils voudraient. Il y a celles et ceux qui sont depuis longtemps sur leur chemin de libération mais qui veulent gommer les "petits détails" qui restent, d'autres les gros boulets... Tout le monde est bienvenu et peu importe les problématiques que vous apportez et déposez. Mais celles et ceux en danger imminent seront dirigés vers le corps médical bien évidemment.
« Garde la tête haute, remonte le menton, et le plus important, continue de sourire parce que la vie est une chose magnifique et elle donne tant de raisons de sourire. » dira t-elle un jour où il faisait certainement plus beau que le 5 août 1962 au 12305 5th Helena Drive où on l'a retrouvera serrant encore le téléphone dans sa main droite.
Je la regarde et je vois mon reflet dans la glace du cadre, c'est un peu nous tou(te)s, entre ombre et lumière.
The End
« Les chiens ne me mordent pas, les êtres humains, oui »
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